DR. MED. SANDRA FATIO
Quand je dis à l’un de mes patients (enfin surtout les dames) que je pense qu’il est temps de porter des chaussures pour diabétiques, en général, je me prends (d’abord) un râteau.
Pourtant, les chaussures pour diabétiques et les lits plantaires sur mesure ne sont non seulement pas toujours moches (parfois oui, j’avoue), elles sont surtout utiles pour prévenir cette catastrophe qu’est le mal perforant plantaire. Alors pourquoi attendre que le mal soit fait et ne pas choisir des chaussures protectrices en prévention ? En plus, avant l’âge de la retraite, les coûts sont pris en charge par l’assurance invalidité. Si on attend après 65 ans, les coûts sont pris en charge par l’assurance vieillesse mais les prestations sont moindres.
Dans les faits, après 10 à 15 ans de diabète, en particulier si l’équilibre glycémique n’était pas très bon les premières années après le diagnostic, le risque de présenter une neuropathie diabétique est très élevé.
Qu’est-ce que la neuropathie diabétique ? Le sucre qui circule en trop grande quantité et en permanence dans le sang est toxique et induit des lésions de différents organes, et donc aussi des fines petites fibres qui constituent nos nerfs. Nos nerfs sont des câbles, un peu comme la fibre optique qui vous amène la télévision et l’internet chez vous. Ces câbles transmettent des informations du cerveau à la pointe de vos orteils et vice-versa. Si les fibres sont lésées, les informations de vos orteils sont mal transmises au cerveau. Par exemple la douleur. Si je mets ma main sur la plaque de la cuisine, les fibres vont transmettre la douleur de la brûlure à mon cerveau et en un millième de seconde, mon cerveau va dire à ma main de se retirer. Si mes fibres sont abimées et que je ne ressens pas la douleur, c’est l’odeur de brûlé qui va me dire de retirer ma main. Je n’aurai peut-être pas mal, mais les dégâts à ma main seront peut-être irréversibles. Dans la neuropathie, on peut aussi voir apparaitre des déformations des orteils ou du pieds, ce qui veut dire que dans des chaussures normales, il y aura des zones de pression et de frottement. Qui n’a jamais eu des cloques dans des chaussures neuves ? Comme la neuropathie fait qu’on ne ressent pas de douleur, on continue à marcher et à aggraver la pression et les frottements, et on voit apparaitre de la corne dans certaines zones, puis des fissures dans la peau ou des plaies. Et on n’a toujours pas mal. Donc la plaie peut se creuser jusqu’à l’os. Comme des milliards de bactéries vivent sur notre peau, en cas de plaie et de fissures, elles vont pénétrer là où elles ne devraient pas, et créer une infection, qui peut avoir une évolution très grave, et surtout des traitements longs et difficiles, avec impossibilité de marcher sur le pied malade pendant parfois des mois ou des semaines. Et parfois, dans le pire des cas, il n’y a pas d’autre solution pour guérir l’infection que de devoir amputer. Quelle tristesse, quelle souffrance, sachant que l‘on aurait pu prévenir tout ça…
Par rapport à l’époque où j’ai commencé la diabétologie, il y a 20 ans, époque où oui, les chaussures pour diabétiques étaient toutes moches, je trouve que les bottiers orthopédistes et les fabricants de chaussures ont fait beaucoup de progrès. Certaines chaussures sont même assez jolies. Et elles ont aussi comme avantage de stabiliser vos pieds lors de la marche et ainsi d’améliorer l’équilibre (qui est aussi perturbé en raison de l’atteinte des fibres nerveuses), et parfois aussi de diminuer les douleurs dites neurogènes (on ne sent pas la douleur « normale » mais on peut ressentir une douleur diffuse « anormale »). Alors, demandez à tester la neuropathie lors d’une prochaine consultation, et si votre médecin ou votre infirmière en diabétologie ou votre podologue vous propose de porter des chaussures pour diabétique, ne partez pas en courant, achetez-les avant 65 ans si possible, et surtout, portez-les.
INFORMATIONS:
Comments